Accueil » Actualités » De la question diplomatique chinoise : l’appât, le piège, les issues
De la question diplomatique chinoise : l’appât, le piège, les issues
- 24 juillet 2020
À AU MOINS deux titres, dire que la Chine (en forme longue République populaire de Chine, RPC) n’est pas une démocratie est une lapalissade éculée. Premier exemple relativement récent : la manière dont les autorités chinoises traitent la « crise » démocratique hongkongaise en dépit des vives réactions des pays occidentaux face à ce qui est désigné comme un déni de démocratie. Deuxième exemple, qui se rappelle à notre bon souvenir régulièrement depuis l’incident de Guldja en 1997 : la répression politique de la population ouïgoure dans le Xinjiang, région le plus au nord-ouest de la Chine. Là encore, les protestations du monde occidental sur ce fait, que certains n’hésitent plus à qualifier de génocide, se font régulières, au point que récemment, en France, le député Aurélien Taché (ex-LREM) n’a pas hésité à solliciter le président de la République à intervenir diplomatiquement auprès de la Chine.
????Persécution des #Ouïghours : Avec 30 parlementaires j’interpelle le Président @EmmanuelMacron !
— Aurélien Taché (@Aurelientache) July 21, 2020
La #Chine mène aujourd’hui une entreprise organisée et institutionnalisée d’éradication d’une population. N’ayons pas peur des mots nous sommes face à un crime contre l’humanité ! pic.twitter.com/74VCuhuijK
Comme à l’accoutumée, les représentants du gouvernement chinois n’ont pas hésité à qualifier ces propos de mensongers, confinant à l’ingérence, pouffant presque aux propositions d’un Jean-Christophe Lagarde, qui appelle, en réponse au message d’Aurélien Taché, à faire comparaître la Chine devant la Cour pénale internationale.
La Chine doit être traduite devant la Cour Pénale Internationale : les pratiques de stérilisation forcée et de déportation dans des camps de redressement contre les Ouïghours sont insupportables. https://t.co/p6ueLB55FT
— Jean-Christophe Lagarde (@jclagarde) July 21, 2020
Par ce voile de moralisme derrière lequel ils se cachent, MM. Taché et Lagarde exposent leur méconnaissance profonde de l’exercice diplomatique dans un cadre aussi complexe que celui-ci, et face à un « partenaire » qui ne nous doit rien, mais à qui, à l’inverse, nous devons tout – qui plus est quand nous sommes nous-mêmes responsables de ce déséquilibre profond.
La Chine, appât de la mondialisation
Depuis l’Acte unique de 1986, la libre circulation des capitaux est officiellement en vigueur. Cette disposition se reflète de nos jours dans l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Quand les investisseurs occidentaux (et pas seulement eux) ont compris l’intérêt de sous-traiter leur production dans les sweatshops asiatiques, personne ne s’est offusqué de les voir détruire des millions d’emplois dans leur propre pays pour délocaliser et exporter la production aux Philippines, en Corée, au Japon, puis, plus récemment, en Chine, où un employé pouvait être payé 0,30 dollar par jour, contre 10 dollars de l’heure en moyenne en Occident1. Si l’on part du principe réaliste qu’une journée de travail en Chine avoisine les douze heures, un calcul sommaire revient à dire qu’un employé occidental coûte la même chose en une journée que 400 employés chinois. Il est virtuellement impossible qu’un employé occidental puisse entrer en compétition avec un tel niveau de productivité/coût, d’autant qu’il est inutile ici de comparer les niveaux de vie des deux, puisque le seul paramètre en jeu reste celui du coût pour l’investisseur.
La force principale de la Chine post-maoïste (mais toujours sous régime quasi communiste) aura été, indépendamment de son réservoir gigantesque de main-d’œuvre bon marché (pour ne pas dire gratuite), de jongler avec une rare habileté pour garder ce régime d’inspiration communiste dans son fonctionnement interne, tout en se pliant avec une souplesse jamais vue aux exigences tout à fait capitalistes du monde extérieur. Au point de s’être rendue, en moins de vingt ans, totalement indispensable aux yeux de ces acteurs capitalistes qui se fichent éperdument des conditions de travail de ces petites mains, pourvu qu’elles leur permettent des économies tant immédiates qu’à long terme.
Personne ne s’émeut de la réalité quotidienne des travailleurs en Chine
À noter que, dans l’inconscient collectif, un produit chinois est synonyme de mauvaise qualité. Cependant, rien n’est plus faux : la manufacture chinoise est au contraire excellente dans sa réponse au cahier des charges initial, et, si le premier critère est le prix, on obtient un bon prix, certes pour une qualité réduite. À l’inverse, si le premier critère est la qualité, on en a pour son argent.
Plus la Chine aura démontré sa bonne volonté à répondre aux exigences du marché, plus le marché aura créé sa dépendance de plus en plus forte vis-à-vis de ce partenaire si obéissant et si peu regardant des lois régissant le monde du travail, beaucoup plus contraignantes dans les sociétés occidentales. Pourquoi s’embarrasser, par exemple, de syndiqués qui exigent vingt minutes de pause régulières, quand les travailleurs chinois urinent à leur poste dans un sac en plastique, limitant au maximum leur perte de productivité ? Pourquoi s’embarrasser, autre exemple, des droits sociaux des femmes enceintes, quand il est tellement plus simple de menacer les employées asiatiques de les priver de leur emploi ? Évidemment, de cette réalité quotidienne-là personne ne s’émeut vraiment. Ce sont pourtant ces employés et ces entreprises-là qui répondent aux besoins de plus en plus énormes du marché occidental.
La Chine, piège pour l’Occident mondialisé
Ainsi les pays occidentaux se sont-ils empressés de passer des marchés juteux avec le gouvernement chinois : aucune industrie n’est possible sans l’aval de ce dernier, que ce soit de la production manufacturière ou de l’exploitation culturelle, l’État régulant très fortement les investissements étrangers – chose qu’il est impossible de faire, faut-il le rappeler, au sein de l’Union européenne. L’économiste lambda vous le dira : réfléchir aujourd’hui à une expansion internationale sans chercher à s’ouvrir vers la Chine, soit pour la production, soit pour l’écoulement de vos marchandises, est une erreur. C’est pourtant en cela que réside le piège actuel.
Imaginez la table des négociations. Vous vous asseyez en face de Xi Jinping, et vous lui dites : « Moi, Emmanuel Macron, je refuse de cautionner les abominations menées contre les Ouïgours et somme votre gouvernement de cesser immédiatement les exactions commises contre les démocrates de Hong Kong… » Sous peine de quoi ? De quels arguments, de quels leviers la France en particulier et les pays occidentaux de manière générale disposent-ils pour faire plier le pays qui est à la fois leur premier fournisseur et leur premier client de demain ? Ces pays occidentaux ont-ils véritablement l’intention de se passer d’un marché d’une telle ampleur, au nom des droits de l’homme ? C’est en ce sens que l’argument « la France est trop petite face à la Chine » est né dans l’esprit des européistes, comme si une délégation diplomatique qui avancerait sous l’égide de l’UE aurait un quelconque pouvoir de négociation supplémentaire.
Le Cambodge n’a pas admis le chantage douanier de l’UE
Rien n’est plus naïf, et, au début de 2019, une délégation diplomatique a rapidement montré ses limites devant un pays infiniment moins puissant que la Chine : le Cambodge. Devant les demandes de l’opposition cambodgienne, la délégation de l’UE a cherché à faire pression sur le Premier ministre, M. Hun Sen, qui n’a pas admis que l’UE fasse un chantage aux droits douaniers. Il s’est au contraire servi de la législation européenne pour faire sauter ces menaces en passant un accord avec la Hongrie, et il dispose de l’aide de ses voisins pour faire face aux éventuelles pénalités, parmi lesquels… la Chine. Le Cambodge refusant de se soumettre à un diktat commercial servant de paravent à une ingérence sollicitée par une opposition en exil, l’UE a confirmé en début d’année son intention de sanctionner le pays, non sans conséquence pour elle d’ailleurs.
Nul doute que la Chine dispose d’un arsenal de réponses bien plus dissuasif que celui d’un « petit pays » comme le Cambodge, qui ne laisse lui non plus personne dicter sa politique intérieure, aussi injustifiée puisse-t-elle être du point de vue moral des observateurs externes. Il serait terriblement naïf de croire que la Chine imagine l’Union européenne comme un consortium de pays unis et tirant dans le même sens, quand ces mêmes pays démontrent chaque jour leur incapacité économique, politique, parfois culturelle, à agir d’un commun accord.
Quelles issues pour la France ?
Quand Donald Trump clame « make America great again », il cherche frontalement à dire à la Chine que les États-Unis peuvent commencer à se passer d’elle : il va instaurer, au cours de son mandat, des barrières douanières qui viseront à protéger des emplois américains, fût-ce au détriment d’une relation diplomatique apaisée. Mais qui peut vraiment penser que les relations entre les États-Unis et la Chine sont apaisées quand les deux pays concourent au titre de premier PIB mondial depuis le début des années 2000 ?
À moins dépendre de la Chine comme producteur, les États-Unis peuvent commencer à espérer libérer un premier pied du piège analysé ci-dessus. Encore faut-il également pouvoir développer des marchés avec des retombées qui peuvent se passer de la clientèle chinoise, ou contourner les mesures de protection que le gouvernement chinois mettra en place en réponse à celles prises par le gouvernement américain. Il faut toutefois admettre que les deux géants semblent chercher à davantage calmer le jeu qu’à l’accentuer, puisqu’ils auraient tous les deux plus à perdre qu’à gagner à cette escalade.
L’euro est un autre frein, qui nous pénalise à plusieurs stades
De son côté, une France qui voit disparaître à vue d’œil son industrie (pas nécessairement au seul profit de la Chine) doit être en mesure d’analyser les raisons de cette disparition, et d’enclencher les leviers adaptés. Nous citions plus haut l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : si celui-ci empêche les pouvoirs publics de s’opposer aux déplacements de capitaux à l’étranger, voire de les limiter, il empêche les mêmes pouvoirs publics de limiter les investissements de capitaux étrangers (qu’ils soient de Chine ou d’ailleurs) dans les entreprises françaises, au risque de les voir « restructurer » ces entreprises (comprendre : licencier en masse).
Notre appartenance à l’euro est un autre frein, qui nous pénalise à plusieurs stades : concurrence commerciale vis-à-vis de l’Allemagne et des pays d’Europe du Nord, interdiction de créer et maîtriser notre monnaie, impossibilité pour l’État d’investir massivement dans une industrie stratégique à long terme, et, bien évidemment, dépendance forte à l’égard d’acteurs comme la Chine, ou plus récemment l’Inde, qui sont nos uniques fournisseurs dans des pans trop importants de secteurs comme la défense, la santé et la pharmacie, les communications. Il est criminel de sous-traiter ces productions régaliennes à des partenaires avec lesquels il est objectivement impossible de discuter, tant notre dépendance vis-à-vis d’eux est forte. De son côté, la Chine ne fait face à aucune interdiction à légèrement sous-évaluer sa monnaie, justement pour accentuer l’attrait qu’elle exerce sur ses clients.
Pas de diplomatie conséquente sans Frexit
Pour ces deux raisons, la première étape consiste à retrouver notre marge de manœuvre en nous libérant de l’Union européenne et en abandonnant l’euro. Sans ces impératifs, les démarches diplomatiques n’ont pas de finalité possible.
Ensuite, quelle légitimité la France peut-elle avoir à pointer du doigt la Chine dans son traitement de la crise démocratique à Hong Kong, alors que la Chine elle-même se garde bien de donner des leçons à la France dans sa manière de traiter la crise des Gilets jaunes, tout autant démocratique et structurelle, et génératrice de tensions – toutes proportions gardées ? Il y a eu bien moins de morts, de blessés et d’arrestations pendant les manifestations de Hong Kong qu’au bout d’un an de contestation par le mouvement des Gilets jaunes. De ce simple fait, la Chine aurait bien plus de raisons de critiquer la France que l’inverse !
D’un autre côté, l’ingéniosité technologique déployée par le gouvernement chinois et la région administrative spéciale de Hong Kong pour contrôler et stopper les manifestants, à l’instar de la « reconnaissance faciale », doit nous faire nous interroger sur les limites éthiques de la future apparition de telles ressources dans les pays occidentaux. Devant un décalage si grand, les pays occidentaux doivent apprendre à réfléchir à leur diplomatie autrement que par l’invective, et en sachant avant toute chose balayer devant leur porte.
Réduire notre dépendance industrielle vis-à-vis de la Chine est une priorité.
Toute diplomatie rendue de nouveau possible et toute manœuvre désormais regagnée sur le terrain économique, nous aurons enfin la possibilité de réduire notre dépendance économique vis-à-vis de la Chine ou d’autres pays, en rapatriant ces productions en France par ordre de priorité stratégique, et sur un temps à la fois suffisamment court pour pallier les problèmes de dépendance nationale, mais suffisamment long pour ne pas vexer notre partenaire. Ce travail devra également s’accompagner d’une réflexion écologique sur le sens de notre consommation, laquelle est le pendant de la production, donc de notre dépendance vis-à-vis des pays producteurs et de leur capacité à répondre aux besoins des pays occidentaux.
C’est aujourd’hui l’action que mène le Royaume-Uni en partenariat avec les États-Unis, même s’il est cocasse de remarquer que ces efforts sont avant tout sabordés par l’Union européenne elle-même, qui continue d’accentuer notre dépendance vis-à-vis de la Chine avec un nouvel accord de libre-échange signé en novembre 2019. Pour rappel, à l’heure actuelle, le déficit commercial de la France par rapport à la Chine est d’une trentaine de milliards d’euros.
L’avenir de la diplomatie sera alors non plus basé sur des enjeux politiques et économiques, mais sur des enjeux culturels où la France, appréciée depuis toujours en Chine et dans les pays asiatiques pour sa gastronomie, son architecture et sa culture de manière générale, portera un projet d’échanges autrement plus équilibré et détendu avec la Chine. La France sera en mesure de réindustrialiser ses secteurs les plus stratégiques en fonction de ses besoins, en maîtrisant sa monnaie, sa dette publique, et en influant sur l’emploi de manière directe.
Jean-Baptiste BARON
Membre du Bureau exécutif
de Génération Frexit